Il faut sortir du cadre !

Ah, la jolie vérité qu’on nous assène régulièrement. Il faut sortir du cadre. Avec le "Il faut" comme une impérieuse nécessité. On s’attendrait presque au "sinon" à la fin. Sinon quoi ? Sinon pas de solution, sinon pas d’innovation, sinon pas de créativité… Et d’entendre ça partout : il faut sortir du cadre ; en brainstorm, aux ressources humaines et même pendant les formations destinées aux... cadres.

L’évidence

Penchons-nous sur cette belle évidence et sur ce qu’elle cache (ou pas). Sortir du cadre. Le "cadre", pour commencer, n’a pas l’air très bien défini. C’est juste quelque chose dont il faut sortir. À la réflexion "sortir" n’est pas clair non plus : que fait on une fois sorti ? On reste dehors ? Ou alors on redevient quelqu’un de bien rangé, le genre qui cadre avec ce qu’on attend de lui. Bon, le sens général le plus plausible c'est surement quelque chose comme : "il faut se libérer des contraintes implicites nous empêchant de réfléchir autrement". Allez, admettons.

L’exemple canoneek

Pour bien nous expleeker ça, on nous sert toujours le même exemple. Quand je dis toujours c’est toujours. Personnellement, j’y ai déjà eu droit trois fois pendant des formations (dans l'ordre : pédagogie, créativité, management). L'exemple donc c'est cette énigme consistant à relier neufs points avec quatre traits seulement et sans lever le crayon. Si vous ne connaissez pas, prenez le temps de chercher un peu : ça fait plaisir quand on trouve :)

Deux trucs me gênent avec cet exemple. D’abord, je l’ai déjà indiqué, il est utilisé à l’exclusion de tout autre. Pour vous en convaincre observez donc ce que donne cette requête sur Google image. Un seul exemple c'est trop peu. Ne dit-on pas qu'il faut deux exemples pour généraliser ?

Le second truc me gêne d’avantage : c’est toujours la même solution qui est proposée.
Il s'agit, justement, de la solution où les traits doivent déborder du carré implicitement défini par les neufs points. Certes ça augmente la valeur pédagogeek de l’exemple mais c’est aussi profondément angoissant : il n’y aurait qu’une seule manière de sortir du cadre, et ce serait toujours la même… Mais alors, tout ça déboucherai juste sur un autre cadre ? Et très étroit à ce qu’il semble. Angoissant.


Vite vite, d’autres solutions

Du coup je me suis mis à chercher d’autres solutions au problème des neufs points, ou à prouver leur inexistence. Disons-le tout de suite, à part les quatre variations sur la direction du trait initial, je n’ai pas trouvé d’autres solutions strictement géométreeks. Je n’ai pas non plus la preuve formelle de la non-existence d’autres solutions purement géométreeks, malgré quelques tentatives...

Par contre, en jouant légèrement sur l’interprétation de l’énoncé, on trouve quelques idées sans trop trivialiser le problème. Par exemple, si les points sont en fait de petits disques de diamètre non nul, alors il existe une solution en trois traits. En fait, en considérant que des parallèles se coupent à l’infini, la solution à trois traits existe même pour des points sans dimension. Aller jusqu’à l’infini pour trouver une solution, là ça commence vraiment à sortir du cadre. 

Dans le même esprit, on peut mettre la feuille en cylindre et faire un seul trait incliné selon l’épaisseur des points. Là je ne fais pas de figure, mais essayez sur le carton du PQ, ça marche nickel. Une autre approche joue sur l’épaisseur du trait : si le trait est suffisamment épais, genre un bon gros coup de rouleau à peinture, alors un seul trait suffit pour recouvrir d’un coup les neufs points. J’aime beaucoup le côté bourrin de cette solution :)

On peut aussi imaginer des solutions avec pliage du papier : on plie soigneusement en accordéon de manière à ce que chaque rangée de trois points se retrouve sur une pliure. On fait coïncider les trois pliures les unes au dessus des autres. Là on met un coup de feutre sur la tranche, un seul, et on déplie.

Enfin je ne résiste pas à la solution Shadock ci-contre  (ou Dali ou Kandinsky), qui trivialise le problème – certes – mais est scandaleusement conforme à l’énoncé. Pour réparer l’énoncé il faudrait déjà dire « quatre segments » au lieu de « quatre traits ».

D’autres exemples

En cherchant un peu, il y a plein d’autres exemples pour illustrer "sortir du cadre". Pour chacun d’eux, je trouve intéressant de voir s’il y a plus d’une solution… Pas toujours facile. Je donnerais quelques solutions dans un prochain post (ou pas).

L'énigme des parts de gâteau : comment couper un gâteau en huit parts avec seulement trois coup de couteau (bien droits) ? Pour l’instant, je connais trois solutions que je détaille dans un autre article.

La pelle à tarte : illustrée juste à gauche. Il faut sortir la miette de la pelle en déplacement seulement deux segments. Je ne connais qu’une solution. Mais je ne suis pas très fort en pelle à tarte.

Les triangles : faire exactement quatre triangles avec six allumettes. Je ne connais qu'une solution :(

Les triangles (bis) : faire plus que quatre triangles avec six allumettes. Je connais plus d’une solution, mais je ne les dis pas ici parce qu'il parait qu'un article trop long c'est chiant.

    Ben alors?

    Ben alors, n’est pas hors du cadre qui croit. La prochaine fois qu’on vous assène l’exemple des neufs point, c'est-à-dire lors de votre prochaine formation, posez la question l’air de rien : « c’est la seule solution ? ». Ça mettra peut-être un peu de réflexion dans le cerveau d’en face. Ou pas. Par contre, n’essayez pas d’expleeker à votre formateur la solution en trois traits séquents à l’infini : ça va l’envoyer dans le mur. Évitez aussi de lui parler du carton du PQ…

    Finalement, il faut sortir du cadre ou pas alors ?

    Je ne peux pas encadrer les phrases qui commencent par il faut. Surtout en formation. Le cadre, on en sort si on veut, quand on veut, comme on veut et parce qu'on veut. Et surtout pas parce qu'il faut.

    (update Mai 2014) Même un cadre à vélo j'ai du mal a rester dessus...

    Oh, une dernière chose : je vous ai fait un petit fond d'écran avec les figures.

    7 commentaires:

    Unknown a dit…

    J'adore, je manie le trait, les segments les courbes et autres clothoïde , ce test j'y ai eu droit et j'aurais bien mis un peu de fantaisie mais pas le droit ... Sache qu'il y a aussi la solution avec une succession de segments droit et clothoïde (http://fr.m.wikipedia.org/wiki/Clothoïde) si si ça marche....

    Metallurgeek a dit…

    Tu viens de m'apprendre Clothoïde ! Comme ça à l'instant j'aurais plutôt pensé à un truc dégueu genre une maladie ou un insecte transgénique. Ou un prénom de vampire...

    Unknown a dit…

    Encore les vampires....Tu as des envies de morsures toi...Non non Clothoïde c'est pas le prénom du vampire dans le futur dernier film vampiresque à la mode...Vu que ceux là morde pas et qu'en plus il brille au soleil ... Comme les étoiles...Oups tu crois que toutes les étoiles sont des vampires qui ont pris le soleil? Bon promis j'arrête .... Les clotoïdes je les utilisent tous les jours au bureau et sans le savoir tu en vois tous les jours...Suffit de prendre ta voiture et toutes les courbes (pas les virages eux c'est différent) sont des clothoïde savament calculées ou pas...

    Anonyme a dit…

    Dis moi as tu pensé au repère non cartésien? en effet les points peuvent être alignés si le plan est courbe auquel cas tu n'auras besoin que d'un seul trait.
    Elwann

    Metallurgeek a dit…

    Hmmm, si les points sont des petits disques, on retrouve le coup du rouleau de PQ. Si les points sont des vrais points, j'avoue que je n'y avait pas réfléchi...

    Quelle forme il faudrait donner à la surface alors ? Un sphère, une selle de cheval... Ou alors un plan hyperbolique (là je connais déjà moins).

    Merci Elwann pour l'idée, ça va me tordre les neurones un petit bout de temps :)

    Anonyme a dit…

    Il y a une solution toute simple qui laisse à chacun la liberté de proposer plusieurs réponses au problème posé tout en sortant du cadre.Cette solution permet de se libérer des contraintes implicites qui empêche de réfléchir autrement.En effet sortir du cadre peut s'interpréter comme avoir un regard différent,un autre point de vue.Le cadre est un espace fini compris dans un plan.Pour sortir du cadre on peut donc changer de dimension.Au lieu de prendre comme hypothèse que les 9 points sont dans un plan,supposons que tous ces points sont disposés sur une ligne invisible semblable à un mètre pliant de telle sorte que vus de haut ils forment un carré.Pour relier les 9 points en 4 traits,il suffit de déplier la ligne "mètre ruban" de telle sorte que l'on ait 4 segments.Il est à noter que l'unique solution proposée par les formateurs fait partie intégrante de l'ensemble des solutions.Pour eux elle est unique car comme le soulignait Metallurgeek,ils ont juste agrandit le cadre,mais ne se sont pas libérer des contraintes qui empêchent de réfléchir autrement.
    Affif

    QuinnLesquimau a dit…

    Pour l'énigme des quatre triangles, on peut faire ça en 3D (la solution officielle), mais on peut aussi les disposer à plat pour que ça le fasse (et seulement quatre, pas plus). Enfin j'en avais trouvé une, en superposant des allumettes, pour qu'elles se croisent.